Comment reconnaître une relation d’emprise ?
« Je ne me reconnais plus. J’ai l’impression de devenir fou (folle). J’ai la tête vide. Je n’arrive plus à penser. Je ne sais plus quoi faire, quoi dire. Je me sens confus(e), perdu(e), vide. Je suis incapable de faire face. De toute façon, c’est de ma faute si j’en suis arrivé(e) là…»
Ces mots, issus de ma pratique, soulignent la présence d’une relation d’emprise. Que traduisent-ils du fonctionnement pervers à l’œuvre ?
Le procédé pervers repose sur un déni de la valeur de l’autre qui est réduit à l’état l’objet, nié dans son existence. La perversion se manifeste par un plaisir et une jouissance sans limite de l’instrumentalisation de cet « ustensile » (Paul-Claude Racamier), de sa déshumanisation.
Une absence complète d’empathie et la transgression des lois et des règles sont symptomatiques du fonctionnement pervers. Pas de place laissée à la souffrance ni aux sentiments des autres et encore moins à la culpabilité. Non-respect de l’autorité, confusion des places, contournement de la loi, utilisation de la Justice à son profit… car c’est le plaisir qui dicte la loi et la toute-puissance qui gouverne.
Du côté de la victime du personnage ou du système pervers, c’est l’aliénation complète. Le mécanisme d’emprise est lent et sournois. Petit à petit, le « pervers » capte, envahit puis contrôle le territoire psychique de l’autre. L’intégrité morale et psychique de ce dernier s’étiole dans ce « lavage de cerveau », sa pensée se vide. Le processus étant progressif, la victime a peu conscience de la manipulation mentale, du chantage, de la pression exercée sur elle et petit à petit elle s’épuise psychiquement et se dévitalise.
Quelle est la dynamique de la relation d’emprise ?
Première phase de la relation d’emprise : La séduction
L’emprise démarre toujours par une phase de séduction. Sous une apparence sympathique, expansive, charmante, le « prédateur » observe sa future victime, repère ses failles et ses points faibles, tandis qu’elle savoure la flatterie, entend des promesses et alimente ses rêves secrets. Il jouit le plus souvent d’un bon statut social. Tout parait « trop beau ». Mais, rapidement la haine s’installe contre la victime, par jalousie et rancune, soit parce qu’elle est bienveillante et se laisse séduire, soit parce qu’elle résiste à la tentative de mise sous contrôle (par exemple dans la sphère professionnelle).
Deuxième phase de la relation d’emprise : La destruction
Vient ensuite la phase de destruction. Le prédateur a besoin de déverser sur l’autre la rage et la haine qui l’habitent, de manière discrète au départ, donc qui ne génère pas forcément de réactions.
Quand il est certain de tenir sa proie, il tombe le masque et se montre froid, indifférent, capricieux, irritable et surtout méprisant. Les menaces directes et indirectes deviennent constantes, le dénigrement, la dévalorisation, le discrédit, systématiques. Là où il faudrait poser ses limites fermement, imposer le respect, la victime cherche à comprendre, à dialoguer et plus elle insiste, plus elle est discréditée. Si jamais elle se rebelle, le prédateur reprend son masque de séducteur et de gentil. La victime commence alors à douter des paroles entendues, des scènes vécues et se retrouve en pleine confusion.
Ce mécanisme de maltraitance, entretenu et aggravé à deux, est doublement favorisé. Les « prédateurs » suscitent l’admiration par leur facilité à transgresser les lois communes, à se présenter comme des êtres d’exception, par leur éloquence qui laissent les autres sans voix et coupe court à tout dialogue. Les « proies » sont la plupart du temps bienveillantes, gentilles, tolérantes, convaincues que le dialogue peut résoudre tous les problèmes. Elles sont également des personnes d’engagement et de devoir. Elles prêtent ainsi aux autres les mêmes intentions respectueuses que les leurs.
Troisième phase de la relation d’emprise : L’isolement
L’isolement de la victime augmente sa dépendance et vient renforcer le pouvoir du prédateur sur elle. Quand la relation d’emprise a lieu dans la sphère personnelle, il la coupe de sa famille, de ses amis voire de son travail. Quand c’est dans la sphère professionnelle, les collègues ont tendance à se tenir à l’écart dans une volonté de se préserver eux-mêmes.
Quelles conséquences pour la personne enfermée dans une relation d’emprise ?
La mise sous emprise génère de la confusion chez la victime, confusion qui la coupe de ses possibilités de réaction. La sidération face à la violence, le fait que cette violence soit niée par l’agresseur, qui rejette même la faute sur la victime, crée un doute profond chez cette dernière. Ce doute est renforcé par son impossibilité à comprendre et à mettre en sens ce qui se passe, ainsi que par l’échec de toute tentative d’améliorer la relation avec l’autre.
La peur est également présente, à double titre : peur des attaques perverses et peur de mal faire, d’être responsable d’un débordement de violence chez l’autre. Cette peur omniprésente crée un état de vigilance constant et une tension intérieure.
Avec le temps, les capacités d’adaptation de la personne sont débordées, le stress (fatigue, nervosité, irritabilité, troubles du sommeil et autres troubles somatiques) apparait. Si la situation perdure, la somatisation s’aggrave et peut conduire à la dépression, à l’intensification des troubles psychosomatiques, à des troubles psychiques (qui peuvent faire passer la personne pour folle et donc complique la reconnaissance de la maltraitance), voire même à des pensées suicidaires.
Comment aider ?
L’emprise est une prison mentale, car la victime ne sait comment s’échapper. La violence du pervers, qui fait par ailleurs bonne impression, n’est visible que face à sa proie, qui se retrouve le plus souvent isolée. En conséquence, elle doute fortement de ses propres perceptions. Son estime de soi est attaquée.
Le chemin pour sortir de l’emprise est long. Il nécessite de rompre avec la maltraitance, de reconstruire ses repères internes, de mettre à distance cet autre destructeur. Se faire accompagner est souvent indispensable.
Le premier pas est de faire nommer à la personne ce qu’elle vit, de reconnaître ses éprouvés pour qu’elle sorte de la culpabilité. Elle pourra commencer petit à petit à reprendre sa capacité de discernement qui a été anéantie, à faire confiance à ses ressentis propres et à se réapproprier son espace intérieur. Elle pourra alors se mettre en mouvement pour sortir de son enfermement mortifère, de sa honte à vivre l’indicible et l’inexplicable, de sa peur et de la dépendance à ce lien pervers.
Quelques ouvrages :
Marie-France Hirigoyen : Le harcèlement moral, Femmes sous emprise
Christel Petitcollin : Échapper aux manipulateurs, Divorcer d’un manipulateur